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Comment sont répartis les organes ?

La première égalité, c’est l’équité.
Victor Hugo, extrait de ” Les Misérables “

Commençons par un fait, largement évoqué dans ces pages : il y a plus de candidats en attente de greffe que d’organes disponibles.

C’est cette situation de pénurie qui a conduit à la création d’une liste d’attente sur laquelle sont inscrits les candidats à la greffe, et à élaborer des règles de répartition et d’attribution des organes prélevés sur des donneurs décédés.

En France, en ce qui concerne le rein, il y a eu en 2007 plus de trois fois plus de malades à greffer (10 586) que de transplantations réalisées au cours de l’année (2 911) et les durées d’attente dépassent couramment plusieurs années.

La durée médiane nationale d’attente (temps au bout duquel la moitié des patients inscrits on pu être greffés) est de 18.4 mois, mais est très variable selon l’équipe (environ 5 mois au CHU de Poitier contre 46 mois à l’Hôpital Tenon à Paris)…

Or, lorsqu’un organe est transplanté, un autre malade n’en bénéficie pas, au détriment de sa qualité de vie, de sa santé, voire de sa vie.

Si les objectifs de justice et d’équité sont difficiles à atteindre en matière de santé (la maladie elle-même est injuste !), ils deviennent presque utopiques lorsqu’il s’agit de transplantation… Les infos suivantes viendront peut être éclairer la réflexion de chacun sur un sujet complexe et polémique.


Comment les règles sont-elles élaborées ?

L’égalité d’accès à la greffe, la gestion de la liste nationale des malades en attente de greffe et la répartition et l’attribution des greffons en France font partie des missions de l’Agence de la biomédecine.

Les règles de répartition en vigueur actuellement ont été élaborées par des groupes d’experts, après une large concertation nationale. Elles ont été validées par le conseil médical et scientifique et le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, puis homologuées par le ministre de la Santé et enfin publiées au Journal Officiel.

L’objectif de ces règles de répartition, réaffirmé par la loi de bioéthique, est de réduire les inégalités d’accès aux greffons entre les malades et d’optimiser l’efficacité de la répartition des organes.

Les principes généraux des règles de répartition

• le greffon est attribué à un receveur de même groupe sanguin que le donneur

En théorie rien n’empêche sur le plan médical l’attribution d’un rein de groupe sanguin O (donneur universel) à un patient de groupe A, B ou AB. Mais la répartition des groupes sanguins n’étant pas équilibrée dans la population, cette pratique défavoriserait les receveurs de groupe O en attente.

• Des priorités

  • les patients inscrits sur la liste nationale d’attente en vue de la greffe simultanée de 2 organes différents dont l’un est le cœur, le poumon ou le foie bénéficient d’une priorité à l’échelon interrégional.
  • ceux dont la vie est menacée à très court terme et dont l’espérance de vie est très inférieure au délai moyen d’attente pour l’organe considéré. Ces patients ont alors la possibilité d’être inscrits dans cette catégorie prioritaire. Cette priorité peut être accordée à l’échelon de l’interrégion ou à l’échelon national pour les cas les plus graves, éventuellement accompagnée d’une dérogation en groupe sanguin compatible.
  • ceux pour lesquels la probabilité d’obtenir une greffe est très faible ; en effet, certains patients rencontrent de vraies difficultés d’accès à la greffe, en général pour des raisons immunologiques (patients immunisés ou groupes HLA rares). Dans ces conditions particulières, la probabilité d’obtenir un greffon compatible peut être très faible.
  • les enfants (moins de 18 ans) sont prioritaires à l’échelon national pour tout donneur de moins de 16 ans et à l’échelon régional pour tout donneur de moins de 30 ans.

En pratique, plus de 90 % des greffons sont transplantés à des malades n’entrant pas dans le cadre des priorités nationales ou interrégionales.

• Un score de répartition des greffons rénaux

Dans le but d’améliorer l’équité de l’attribution des greffons, l’Établissement français des greffes, devenu l’Agence de la biomédecine, a mis en place depuis 2004 un système de score pour l’attribution des greffons rénaux, en dehors des priorités comme les situations d’urgence ou la priorité pédiatrique. Après une période de test sur l’Ile de France, cette modalité d’attribution est à présent utilisée sur tout le territoire français.

Le score est calculé pour chaque greffon et pour chaque malade sur la liste d’attente en fonction de plusieurs critères pondérés :

  • l’ancienneté d’inscription,
  • la difficulté d’accès à la greffe (pour la déterminer, on examine pour chaque patient combien de donneurs auraient pu lui être proposés avec au maximum trois incompatibilités au cours des cinq dernières années),
  • la qualité de l’appariement en âge entre donneur et receveur
  • la qualité de l’appariement en HLA entre donneur et receveur

Ainsi, pour chaque donneur prélevé :

  • S’exercent d’abord les règles de priorités nationales puis régionales
  • Un des deux greffons est attribué à un patient de l’équipe locale (celle de l’hôpital où le rein a été prélevé) par le score avec possibilité pour l’équipe de déroger en motivant sa décision
  • Un greffon est attribué par le score à un patient de la liste régionale, sans possibilité de déroger

Il faut rappeler qu’avant 2004, il existait deux grands modes de répartitions :

  • Les greffons prélevés pouvaient être attribués au malade ayant la meilleure compatibilité HLA. La notion de durée d’attente sur la liste n’entrait en ligne de compte que pour départager les éventuels (et improbables) “ex aequos”.
  • Les greffons prélevés pouvaient être attribués à une équipe (ce qui se passait dans 65% des cas). L’attribution était soit purement géographique (proximité du lieu de prélèvement, répartition “locale”), ou dépendait d’un système de tour de rôle. Ni l’inégalité du nombre de malades inscrits, ni l’inégalité d’accès aux greffons, n’étaient prises en compte. L’équipe avait la responsabilité de sélectionner un des malades de sa propre liste en fonction des critères qui lui semblaient les meilleurs.

Avec l’amplification de la pénurie, ce système était devenu insatisfaisant. Il manquait tout d’abord singulièrement de transparence et était également responsable de grandes injustices entre les malades.

Par exemple, en 2003, l’EfG a réalisé une étude portant sur les disparités géographiques d’accès aux greffes en France, a été particulièrement révélatrice en la matière. Elle a montré des taux de transplantation très hétérogènes en fonction des régions, le plus élevé étant relevé dans l’Ouest de la France, avec 63%, et le plus faible en région parisienne, avec seulement 43%.

 

Le score a permis de manière évidente de renforcer l’équité. Le malade est donc enfin placé au centre des règles d’attribution, ce qui va clairement dans le sens d’une répartition plus juste.


Il a permis de greffer des patients pour lesquels l’accès aux greffons était difficile et a obligé les équipes à réexaminer les dossiers des « vieux attendeurs » : par exemple, 6 mois après la mise en place du score en Ile de France, 80% des reins attribués au score régional avaient été greffés à des patients inscrits depuis plus de 5 ans ! Certains malades ont pu être transplantés alors qu’ils attendaient depuis plus de 15 ans !

Il a rendu plus transparente l’attribution du rein local, tout en préservant une certaine souplesse de la décision médicale : les équipes ont en effet la possibilité de déroger au score sur ce rein, à condition de le justifier.


La durée d’attente demeure le principal indice d’équité aux yeux des patients, comme de la société.

L’utilisation de la durée écoulée depuis le début de la dialyse à la place de la durée d’inscription sur la liste serait néanmoins souhaitable, puisqu’elle renforcerait encore l’équité de ce score. C’est du reste le choix qui a été fait par la plupart des autres pays européens.

Le maintien du « rein local » reste discutable. Les deux principaux arguments mis en avant pour le préserver sont :

– L’efficacité liée à la durée d’ischémie, supposée plus courte lorsque le rein est greffé là où il a été prélevé, même si ce n’est pas toujours vérifié dans les faits ;

– Sa perception en tant que « prime au prélèvement » (le fait de greffer « sur place » serait un élément de motivation des équipes pour prélever, ce qui est là aussi discutable…) ;

En pratique, l’ajout d’un item relatif à la distance entre le lieu du prélèvement et l’équipe de greffe d’un patient donné pourrait vraisemblablement être une alternative efficace au rein local.

Plus globalement, la répartition reste régionale et on observe toujours des disparités considérables, et qui vont en s’amplifiant, en termes de durées d’attente, en fonction du lieu d’inscription.

L’objectif d’équité n’est donc en pratique pas atteint et ne pourra pas l’être tant que la répartition ne se fera pas au plan national.

 

Le score doit pouvoir évoluer et s’adapter en fonction de l’évolution du contexte mais aussi des avancées médicales.

Il serait illusoire de penser que la mise en place d’un “bon” système de répartition des greffons sera suffisante pour gommer toutes les inégalités. En effet, d’autres éléments jouent un rôle considérable :

• La diversité des moyens des équipes

Certaines se sont professionnalisées dans le domaine de la greffe, beaucoup ont intégré cette activité dans une structure assumant tous les aspects thérapeutiques de l’insuffisance rénale (hémodialyse, dialyse péritonéale, néphrologie)… Ainsi, on sait que l’argument de la pénurie peut parfois devenir un prétexte pour justifier un faible nombre de greffes, qui est en fait lié à des moyens humains ou matériels insuffisants ou à un manque de volonté des directions d’hôpitaux.

• La variabilité des flux d’inscription

L’inégalité est aussi la conséquence des flux d’inscription de malades qui se concentrent vers certaines équipes sans tenir compte de leur capacité fonctionnelle ni de leurs ressources en greffons.

On connaît bien les « effets centres », qui entraînent encore (par exemple) des migrations de patients de province vers les équipes parisiennes, alors que les durées d’attentes y sont incomparablement supérieures…

Les malades ont un véritable rôle à jouer dans ce cadre, ne serait-ce qu’en s’informant et en prenant en compte les données auxquelles ils peuvent avoir accès (durées médianes d’attentes, notamment…).

• La “territorialité” de la répartition

Enfin, les différences d’attente sont aussi liées au couplage des activités de greffe et de prélèvement aux échelons locaux (de chaque équipe) et des inter régions.

Ce système, hérité du découpage inter régional par France-Transplant en 1987, doit sans aucun doute être réformé en faveur d’une répartition fondée sur plus de solidarité à l’échelon national.

L’exemple d’Eurotransplant, organisme de organisant la répartition des reins par un système centralisé pour 6 nations (Bénélux, Allemagne, Autriche et Slovénie), montre l’intérêt et la faisabilité d’un tel système. Le temps d’ischémie moyen d’Eurotransplant est inférieur à celui de la France (18h versus 22h…) !

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  • #48097
    Yvanie
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