Les donneurs vivants, ces Objets Médicaux Non Identifiés
Plaidoyer pour un accompagnement à leur hauteur !
Tout récemment, Renaloo a été alerté par deux personnes qui viennent de donner un rein à un proche dans un hôpital parisien. Dans les deux cas, l’opération s’est parfaitement passée et le greffon fonctionne normalement. Mais les donneurs expriment une grande insatisfaction quant à l’absence d’accompagnement et de soutien de la part de l’établissement. Une d’entre eux, une femme ayant donné son rein à son mari, une fois rentrée chez elle, traverse une phase dépressive sévère : « Je suis passée d’une grande motivation à un profond abîme. Une semaine après l’opération, je suis tombée en déprime durant plus d’un mois. Aucun goût pour rien. Moi qui adore lire, je ne pouvais plus ouvrir un livre, et la télévision n’avait aucun intérêt. En fait, je croupissais entre le sommeil et le fauteuil, sans jamais sortir de la maison pour quoi que ce soit. Je suis loin d’être la seule. »
De fait, il ne s’agit pas de cas isolé. La grande enquête réalisée en 2012 par l’Abm sur La qualité de vie des donneurs vivants de rein signale que « les donneurs ont des scores de dépression très significativement plus élevés à trois mois et à un an qu’avant le don et ceci chez les hommes comme chez les femmes. Le score s’améliore discrètement entre 3 mois et 1 an. »
Beaucoup de donneurs vivants se plaignent en effet de la longueur, de la lourdeur et des incertitudes du parcours du donneur avant l’opération. Ils signalent aussi des difficultés rencontrées lors de leur séjour hospitalier (douleurs post opératoires, inconfort, absence de considération…).
Mais c’est d’un déficit d’accompagnement et de soutien psychologiques que se plaignent surtout les donneurs vivants. Et ils sont nombreux à le déplorer. Ils souffrent d’un sentiment de solitude pendant ce parcours qu’ils assimilent souvent à un marathon ou à un parcours du combattant. Ils se sentent en grande partie incompris par le monde médical qui leur fournit peu ou pas d’occasions d’exprimer la forte charge émotionnelle nécessairement associée à l’acte qu’ils ont décidé d’accomplir au bénéfice d’un de leurs proches.
Quoiqu’on en dise, donner un rien, ce n’est pas rien !
Le donneur vivant surgit dans l’univers médical comme un OMNI, objet médical non identifié, au même titre que les OVNI dans l’atmosphère et les OFNI (objet flottant non identifié), sur les mers.
Paradoxal, sa présence perturbe la relation classique du médecin avec son malade. Le praticien se retrouve soudain devoir gérer un ménage à trois ! Le donneur vivant n’est pas un patient, puisqu’il est en bonne santé et c’est justement pour cette raison qu’on le sélectionne. Collaborateur volontaire et pièce indispensable du système de soins, il n’est pas pour autant un soignant.
Défini par cette double négation (ni soignant, ni patient), le donneur est en fait traité comme un patient, du mauvais côté de la seringue : une fois le processus enclenché, il est soumis, comme un patient ordinaire (et c’est normal !) à une batterie d’examens, de radios et de prises de sang à cette différence qu’il doit, lui, apporter la preuve de sa bonne santé, épreuve par définition épargnée au patient ordinaire.
Il est alors privé de toute marge d’initiative et a très peu d’occasions, à part l’entretien avec le ou la psychologue, de pouvoir s’exprimer sur le sens qu’il donne à son acte et qui le distingue de tous les autres patients. Et pour lui, là est pourtant la raison essentielle de sa présence à l’hôpital.
Absorbée par la nécessité d’éviter tous les risques pour le donneur comme pour le receveur, l’équipe de transplantation ignore, dans la grande majorité des cas, les dimensions psychologiques qui travaillent en profondeur la personne du patient. Le donneur vivant vit souvent mal la double négation qui définit son identité dans l’univers hospitalier.
A force d’être un « ni-ni », il finit par se considérer comme quantité négligeable. Sentiment renforcé par l’impression désagréable, qu’une fois son rein prélevé, il n’intéresse plus la médecine et qu’on cherche à s’en débarrasser au plus vite afin de libérer un lit. La qualité du suivi médical postérieur des donneurs vivants est aussi très variable selon les équipes de transplantation.
La transplantation rénale par donneur vivant est aujourd’hui, de très loin, le meilleur traitement pour les patients dont les reins ne fonctionnent plus. Elle s’est développée en France ces dernières années, jusqu’à représenter 16% des greffes rénales, et c’est tant mieux, même si les chiffres tendent désormais à stagner.
Mais il serait dommage que ces progrès se réalisent au détriment de l’intégrité psychique d’un personnage clé de l’opération, le donneur vivant.
Il est urgent de revoir entièrement l’organisation de la prise en charge, de l’accompagnement et du suivi psychologiques des donneurs vivants. C’était l’une des recommandations des Etats Généraux du Rein et force est de constater que peu de suites positives ont été apportées depuis 2012. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! La révision de la loi de bioéthique de 2019 est l’occasion de s’y atteler.
Christian Baudelot, vice-président de Renaloo
Professeur émérite de sociologie à l'Ecole Normale Supérieure, Christian a donné un rein à son épouse Olga en 2006. Ensemble, ils ont écrit un très beau livre sur leur expérience "Une promenade de santé, l'histoire de notre greffe" (Stock, 2008). Ils sont tous deux fortement engagés auprès de Renaloo.
1 Commentaire
Je voudrais apporter un témoignage qui me semble prendre le contre pied .
Immédiatement après avoir donné un rein à Clotilde, mon épouse en octobre 2015, le chirurgien puis le chef du service de Néphrologie du CHRU de Lille , le professeur Noël sont venus échanger avec moi dans ma chambre d’hôpital. Par la suite, j’ai toujours accompagné mon épouse à chaque visite ce qui m’a permis de discuter avec le Néphrologue. . je n’ai donc jamais eu le sentiment d’être une “quantité négligeable”. Dans la phase amont de l’opération, les échanges avec les néphrologues m’ont permis de franchir les diverses étapes du processus de “validation” sans trop d’angoisse. . Le suivi psychologique m’a été proposé par l’équipe médicale et le comité de suivi. Je n’en ai pas eu besoin, jusque maintenant.
Je suis, donc, effrayé que des donneurs vivants puissent être traités de façon aussi légère dans d’autres hôpitaux.
Il me semble important de noter que le suivi médical postérieur peut aussi être positif dans certains centres de greffe. Cependant, mon expérience me conduit à penser que île donneur vivant , s’il le peut, doit être acteur dan son suivi. En tout cas, à chaque fois que j’ai sollicité l’équipe médicale, j’ai bénéficié d’une écoute attentive. Les témoignages mettant en évidence une grande insatisfaction quant à l’absence d’accompagnement et de soutien de la part de l’établissement montrent qu’il faut absolument revoir la prise en charge du donneur vivant. Je pense qu’il faut prendre appui sur les bonnes pratiques comme celles dont j’ai pu bénéficier.