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L’Espagne, leader mondial du don et de la greffe pour la 28e année consécutive, la France peut et doit faire mieux

Alors que le don et la greffe progressent sans interruption en Espagne depuis 1992, et que les taux records de 48,9 donneurs décédés prélevés et 72,8 greffes rénales par millions d’habitants viennent d'être atteints en 2019, l'activité en France parvient à peine à se maintenir, après un fort recul en 2018, avec 27,9 donneurs décédés prélevés et 52 greffes rénales pmh en 2019.

Pourtant, la France a tout pour faire mieux. Faire mieux, pour mieux soigner les patients, mais aussi parce que la greffe rénale permet des économies de santé importantes.

Pour Renaloo, il est urgent de lancer les États Généraux de la Greffe et un plan d’action pour qu’enfin le don d’organes et la greffe deviennent des priorités nationales, dans les faits et pas seulement sur le papier.

France – Espagne : deux plans greffe, des résultats divergents

Pour l’ONT, équivalent espagnol de l’Agence de la biomédecine, les excellents résultats espagnols témoignent de l’efficacité de leur dernier plan greffe (plan stratégique 50×22), lancé en 2017, et dont le principal objectif était d’atteindre 50 donneurs pmh en 2022.

En France, un plan greffe a aussi été lancé en 2017, avec des objectifs moins ambitieux pour l’année 2021 :

– 32 donneurs prélevés pmh.
Ce taux était de 26,6 par millions d’habitants en 2015 et de 27,9 en 2018. Il recouvre de grandes disparités selon les régions, certaines se hissant à des niveaux proches de ceux de l’Espagne tandis que d’autres obtiennent des résultats très inférieurs et qui se dégradent.

– 73 greffes de rein pmh, soit en valeur absolue 4 950 greffes, dont 1 000 à partir de donneurs vivants.
Ce taux est de 54 pmh en 2019. Après une diminution inquiétante de -6% en 2018 (3567), le nombre de greffes rénales est donc reparti faiblement à la hausse, à 3641 : un nombre insuffisant, qui reste inférieur de 4% à celui de 2017 (3782), tandis que le nombre de patients en attente continue d’augmenter : ils étaient ainsi plus de 16000 à attendre un rein fin 2019.

Aucun moyen financier n’a été dédié à ce plan, dont l’atteinte des objectifs semble désormais très improbable. L’enquête rendue publique voici quelques jours par l’association France Transplant confirme les difficultés, organisationnelles notamment, auxquelles se heurtent les hôpitaux français et qui contribuent à ces résultats insuffisants.

Comment expliquer le succès espagnol ?

Créée en 1989, l’ONT est une agence dédiée aux activités de don et de greffe. Elle a très rapidement mis en place un modèle de coordination des donneurs décédés qui a permis à l'Espagne de devenir leader mondial dès 1992 et de doubler son taux de donneurs prélevés (de 15 donneurs prélevés par million d'habitants à plus de 30).

Tous les établissements hospitaliers comportent des équipes de prélèvement, avec des médecins et des infirmiers dédiés, formés et motivés. Le recensement des donneurs potentiels a été renforcé avec un repérage précoce ; le recours à des organes provenant de donneurs à critères élargis a été facilité ; le prélèvement sur donneurs décédés après arrêt cardiaque a été développé.

Au-delà de la bonne organisation, le modèle espagnol repose aussi sur des adaptations continues du système aux changements, essentielles à sa réussite.
Rafael Matesanz, fondateur de l’ONT, soulignait en 2017 « La réussite la plus frappante est que le système a fait du prélèvement d'organes une activité de routine, quelles que soient les circonstances de décès. En Espagne, les soignants qui s'occupent des patients en fin de vie considèrent qu'il est de leur devoir d'explorer systématiquement leurs souhaits s'agissant du don d'organes après leur mort » .

Le modèle espagnol permet d’identifier plusieurs voies d’amélioration :

1. Le développement rapide des prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque (DDAC)
Il s’agit d’un des leviers majeurs : 1 donneur décédé sur 3 en Espagne est aujourd’hui un DDAC. Une accélération forte a eu lieu à partir de 2013 avec le démarrage du prélèvement sur DDAC de type Maastricht 3 (M3).

En 2019, 744 donneurs DDAC (+18% par rapport à 2018 ont permis la réalisation d’un millier de greffes rénales en Espagne, via 120 hôpitaux habilités pour réaliser ces prélèvements. L’Espagne n’est pas une exception puisque ces dons représentent aussi 30% des greffes rénales en Belgique, 43% au Royaume Uni et plus de 50% aux Pays Bas.

En France, l’activité de prélèvement sur M3 a démarré fin 2014. En 2019, 35 hôpitaux participaient à cette activité et 9,6% des greffes rénales étaient réalisées à partir de DDAC (349, contre 281 en 2018).

2. La diminution du taux de refus
Le taux de refus en Espagne en 2019 est seulement de 14 %, tandis qu’il s’élève à 30,5% en France, malgré une législation identique : consentement présumé et recherche auprès des proches d’une éventuelle opposition du défunt.

Selon Raphaël Matesanz, la qualité de la relation avec les proches est une dimension importante du modèle espagnol : elle permet de garantir l’adhésion de la société au principe du don, préalable nécessaire à la minimisation des refus.

3. L’augmentation de la greffe de donneur vivant
En 2019, la greffe de donneur vivant poursuit en France son déclin, amorcé en 2018, avec une chute de -17% (508) par rapport aux chiffres de 2017 (611). Elle ne représente plus que 14% du total des greffes, une part très inférieure à celle observée chez beaucoup de nos voisins européens, où elle dépasse régulièrement les 30% (Royaume Uni, Pays Bas, pays scandinaves, etc.). Il s’agit d’une des rares dimensions où nous faisons mieux que l’Espagne, où seulement 10% des greffes rénales en 2019 ont été réalisées à partir d’un donneur vivant.

Le plan greffe 3 prévoit d’atteindre en France 1 000 greffes rénales de donneur vivant par an en 2021, un objectif qui semble lui aussi bien mal engagé.

Ces greffes, dont l’organisation est complexe, souffrent d’un développement très inégal selon les équipes. En 2018, seules 8 des 32 équipes de greffe rénale adultes en métropole ont atteint ou dépassé l’objectif de 20 % de greffes de donneur vivant fixé par les pouvoirs publics, réalisant à elles seules plus de 40% de l’activité du pays.

Là aussi, au-delà de l’engagement très hétérogènes des équipes, les moyens nécessaires sont bien identifiés, notamment la nécessité de disposer en nombre suffisant d’infirmières de coordination. Alors que l’ensemble des directives et en particulier le plan greffe 3 soulignent cette nécessité, les effectifs d’infirmières de coordination ont été gelés dans la majorité des centres, ce qui a coïncidé avec la stagnation puis la baisse observée de l’activité depuis 2015.

Face au recul de la greffe de donneur vivant en 2018, un « soutien exceptionnel » a été mis en œuvre par l’État en 2019, à hauteur d’1M€. Ce montant, non pérenne, qui correspond à peine au coût annuel de prise en charge de 12 patients dialysés, a été réparti entre les 37 équipes de greffe rénale. Comme on pouvait s’y attendre, il n’a pas été suffisant pour enrayer le déclin de l’activité.

4. Mieux protéger et accompagner les donneurs vivants
Neutralité financière du don, qualité du suivi, statut vis-à-vis de l’ONIAM (Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux), priorisation en cas de perte du rein restant – bien que préconisées tant par le plan greffe 3 que par le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) et réclamées par les associations de patients, ces mesures simples et de bon sens restent absentes du projet de loi de bioéthique.

La greffe résiste à la crise en Espagne, mais pas en France

On peut noter que malgré les difficultés économiques rencontrées par l’Espagne – son budget consacré à la santé a par exemple diminué de 11% entre 2011 et 2013 – le développement du prélèvement et de la greffe n’y a jamais fléchi.

Même si le budget de la santé en France n’a à ce jour jamais diminué, le contexte difficile dans les hôpitaux et « les ressources contraintes » sont aujourd’hui les explications les plus souvent évoquées à la diminution du prélèvement et de la greffe. Le rôle de l’épidémie de grippe de 2018 a aussi été mis en avant.

Le prélèvement et la greffe, pourtant hissés au rang de priorités nationales et de priorités de service public hospitalier par la loi de bioéthique de 2004, apparaissent donc anormalement fragiles.

La Cour des comptes s’inquiète ainsi tout récemment que « des activités prioritaires résistent aussi mal à des épisodes de tension » (1).

La greffe, un investissement hautement rentable, économiquement et humainement

Contrairement à la France, l’Espagne a bien compris que la greffe est un impératif médical et humain, mais aussi économique et de santé publique.
Du reste, avec 52% du total des patients greffés (et 48% dialysés), les économies de santé réalisées sur la dialyse compensent très largement les moyens dédiés au prélèvement et à la greffe.

D’autres pays suivent cette voie, comme la Croatie ou le Portugal, qui mettent en œuvre avec efficacité le modèle espagnol et voient sans surprise leurs taux de prélèvements et de greffes progresser rapidement.

En France, malgré de nombreuses injonctions à inverser cette proportion, la majorité (55%) des patients sont dialysés et 45% seulement transplantés(2). Si ces taux étaient alignés sur ceux de l’Espagne, les économies de santé se chiffreraient en centaines de millions d’euros par an, pour une qualité des soins très fortement améliorée.

Des États Généraux de la Greffe, vite !

Lorsqu’on interroge l’ONT sur les raisons de l’engagement de l’Espagne en faveur de la greffe à la fin des années 80, la réponse est claire : les demandes des malades en sont à l’origine. De fait, les patients dialysés n’ont pas hésité à manifester, avec un slogan fort : « Nous sommes prisonniers de la dialyse ».

Près de trois décennies plus tard, il est temps que leurs homologues français soient à leur tour entendus.

Face à l’urgence, Renaloo appelle à la mise en œuvre sans délai d’État Généraux de la Greffe, impliquant l’ensemble des parties prenantes et en particulier les patients, afin d’établir collectivement un plan d’actions, qui fera enfin de la greffe une réelle priorité, dans les faits et pas seulement sur le papier.

Ils devront permettre qu’une stratégie enfin effective d’organisation optimale associée aux moyens humains et financiers nécessaires soient lancés sans délai, afin d’inverser durablement et fortement la tendance observée et de mettre fin aux inexplicables écarts constatés selon les régions et les établissements : recensement, disponibilité et formation des professionnels, taux de refus, taux de prélèvement, inscriptions sur la liste d’attente, durées d’attente, prélèvements M3, greffes de donneurs vivants, etc.

 

Sauf références spécifiques, les données françaises mentionnées dans ce texte proviennent de l'Agence de la biomédecine et les données espagnoles de l'Organización Nacional de Trasplantes (ONT) 

(1) Cour des comptes, Rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2019

(2) Rapport REIN 2017

 

 

 

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2 Commentaires

  • Il y a seulement 30 donneurs décédés par million d’habitants???

  • Avec aucune donnée sur la qualité des greffes comme la durée de vue des greffons mettre un pays en avant n’est pas très sérieux. Avec l’absence de chiffres, sachant que les greffons sont le plus souvent reimplantés localement les inégalités territoriales sont très fortes et non documentées. Et il faut aussi souligner la faiblesse du nombre de dons apparentés ! l’Espagne n’est qu’un cas particulier mais le seul chiffre des prélèvements n’est pas suffisant pour mettre ce pays en avant !

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